J.O. 86 du 11 avril 2006       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision du 15 mars 2006 du Conseil d'Etat statuant au contentieux (section du contentieux, 10e et 9e sous-sections réunies) sur le rapport de la 10e sous-section de la section du contentieux


NOR : CETX0609233S



Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Brasserie de Tahiti, dont le siège est 17, place Notre-Dame, BP 597, Papeete, Tahiti (98713), représentée par son directeur général en exercice ; la société Brasserie de Tahiti demande au Conseil d'Etat :

1° De déclarer le 4° de l'article 3 de la « loi du pays » no 2005-7 LP/APF du 5 décembre 2005 portant diverses mesures fiscales à l'importation non conforme au bloc de légalité tel qu'il est défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

2° De déclarer que cette disposition ne peut être promulguée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 74 ;

Vu la loi organique no 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la délibération no 2001-208 APF du 11 décembre 2001 approuvant le budget général du territoire pour l'exercice 2002 ;

Vu le code de justice administrative :

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, maître des requêtes ;

- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du président de la Polynésie française ;

- les conclusions de Mlle Célia Verot, commissaire du Gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'en vertu du huitième alinéa de l'article 74 de la Constitution, la loi organique peut déterminer, pour les collectivités d'outre-mer qui sont dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles « le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégorie d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi » ; qu'aux termes de l'article 139 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : « L'assemblée de la Polynésie française adopte des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays et des délibérations » ; que l'article 140 de cette même loi organique dispose que les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés « lois du pays », sur lesquels le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique, sont ceux qui, relevant du domaine de la loi, soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française, soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française aux compétences de l'Etat et interviennent dans les matières qu'il énumère et au nombre desquelles figurent l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 176 de la même loi organique : « I. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays ou au lendemain du vote intervenu l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat./ Ils disposent à cet effet d'un délai de quinze jours. (...)/ II. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat. / Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d'un intérêt à agir (...) » ; qu'il est spécifié au premier alinéa du III du même article 176 que « Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle, applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat » ; que le dernier alinéa de l'article 176 énonce que les « lois du pays » ne peuvent plus être contestées par voie d'action devant aucune autre juridiction ; qu'enfin, l'article 177 de cette même loi organique ajoute que « Le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois de sa saisine. (...)/ Si le Conseil d'Etat constate qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, celle-ci ne peut être promulguée./ Si le Conseil d'Etat décide qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux, ou aux principes généraux du droit, sans constater en même temps que cette disposition est inséparable de l'acte, seule cette dernière disposition ne peut être promulguée./ Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, le président de la Polynésie française peut, dans les dix jours qui suivent la publication de la décision du Conseil d'Etat au Journal officiel de la Polynésie française, soumettre la disposition concernée à une nouvelle lecture de l'assemblée de la Polynésie française, afin d'en assurer la conformité aux normes mentionnées au deuxième alinéa » ;

Considérant que, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004, précité, l'assemblée de la Polynésie française a adopté, le 5 décembre 2005, une « loi du pays » portant diverses mesures fiscales à l'importation ; que, dans le cadre du contrôle juridictionnel spécifique défini au chapitre II du titre VI de cette même loi organique, la société Brasserie de Tahiti a saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à ce que le 4° de l'article 3 de cet acte soit déclaré illégal ;



Sur l'unique moyen de la requête :

Considérant que par une délibération du 11 décembre 2001 approuvant le budget général du territoire pour l'exercice 2002, l'assemblée de la Polynésie française a instauré, afin de favoriser la diminution de la consommation de produits sucrés dans un but de santé publique, d'une part une « taxe de consommation pour la prévention », qui s'applique à l'importation de boissons sucrées et de divers produits sucrés, d'autre part une « taxe sur la production », qui s'applique à la production de certaines boissons sucrées et certains produits sucrés ; que les eaux minérales aromatisées et les jus de fruits sont exonérés de ces deux taxes ; que le 3° de l'article 4 de la « loi du pays » attaquée a étendu le champ d'application de la « taxe de consommation pour la prévention » aux importations de lait concentré sucré et de sucres ; que la société Brasserie de Tahiti soutient que cette extension est contraire au principe d'égalité devant l'impôt ;

Considérant, en premier lieu, que la circonstance que les producteurs locaux de boissons sucrées seront redevables à la fois de la « taxe de consommation pour la prévention » sur leurs importations de sucre et de la « taxe de production » sur leur production de boissons sucrées n'est pas constitutive d'une double imposition, dès lors qu'en tout état de cause, ces deux taxes sont établies sur des objets différents ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la « loi du pays » instaurerait une double imposition manque en tout état de cause en fait ;

Considérant, en deuxième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des règles différentes soient appliquées à des catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, au regard du but en vue duquel est instituée une taxe fiscale ; qu'en imposant aux importateurs de sucres et de lait concentré sucré une charge que ne supportent pas les producteurs locaux ou les importateurs d'eaux minérales aromatisées et de jus de fruits, qui sont par ailleurs assujettis à la taxe de développement local, la disposition critiquée n'a pas méconnu le principe d'égalité dès lors que ces deux catégories de produits ne sont pas placés dans la même situation au regard de l'objectif de santé publique poursuivi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la société Brasserie de Tahiti doit être rejetée,

Décide :


Article 1


La requête de la société Brasserie de Tahiti est rejetée.

Article 2


La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Polynésie française et sera notifiée à la société Brasserie de Tahiti, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au ministre de l'outre-mer.

Copie en sera adressée pour information au haut-commissaire de la République en Polynésie française.